jeudi 19 octobre 2017

Domination(s)

Le scandale des abus sexuels d’Hollywood n’en est qu’à  ses débuts…

Complice. Un alignement de planètes s’avère parfois nécessaire – hélas – pour que des omertas explosent comme des étoiles. C’est seulement après que nous constatons les conséquences d’ondes gravitationnelles qui secouent l’espace-temps et, au bout du compte, nos consciences d’être humains. Nous avons tous compris que le plus gros scandale de l’histoire d’Hollywood depuis des décennies n’en était qu’à ses débuts. À l’échelle du cinéma américain, qui compte tant dans l’imaginaire collectif «occidental» et désormais bien au-delà, il y a tout lieu de penser que la presse et surtout la justice vont s’emparer des abus sexuels du producteur Harvey Weinstein pour s’interroger sur le «système» qui a prévalu si longtemps, en se posant cette question récurrente dès qu’un scandale de ce type émerge des limbes : pourquoi l’usine à rêves n’a rien vu, ou plus exactement, pourquoi n’a-t-elle rien voulu voir de ce «système» constitué de rabatteurs, d’une armée de conseils, d’agents, d’acteurs et même de journalistes? L’actrice Jane Fonda vient de révéler avoir été «au courant» de ces agissements et qu’elle avait «honte» de s’être tue. Sans se ménager, elle appelle son comportement une «culture de la complicité». Sa contrition en dit long. En cause, l’usine à harcèlement et à abus sexuel, dont il convient simplement de se demander comment elle a pu perdurer, sachant que l’actrice française Léa Seydoux, autre victime, ajoutait l’autre jour qu’elle rencontrait «tout le temps» des hommes comme Weinstein. Sous-entendu: aux États-Unis, mais également en France ou ailleurs… Appliqué à la vie de tous les jours, ici-maintenant et ici-chez-nous par exemple, imaginez un peu ce que cela signifie pour les femmes, quel que soit leur «cadre» familial ou professionnel. 

Interdit. Ce que révèle l’affaire hollywoodienne, au moins, c’est que le harcèlement sexuel concerne précisément tous les milieux. Omerta. Tabou. Peur. Pression. Autocensure… Les mots se bousculent légitimement, quand des femmes courageuses osent enfin parler. Juste parler, tant il s’avère difficile – en ce domaine si particulier – de parvenir à affranchir sa propre parole, de dépasser le déshonneur vécu, de chasser ses doutes et ses craintes de répercussions pour ses proches ou sa carrière du fait même que, à tous les échelons, nos sociétés patriarcales et archaïques restent dominées par les hommes.

Nous connaissons la mécanique par cœur: de l’odieux sexisme «ordinaire» à l’agression verbale jusqu’au harcèlement sexuel, il n’y a qu’un pas. Un pas ténu qui porte souvent une définition : la domination. Donc toujours la tentative plus ou moins affirmée de soumission. Les femmes en sont les premières victimes, depuis toujours, car voyez-vous, il existe en ce bas monde une illusion mentale prégnante et culturellement transmise selon laquelle la femme serait à la fois une tentatrice dont il conviendrait de se méfier et une personne qui, réduite à l’état d’objet, se transformerait en butin libre accès dont on pourrait se saisir et consommer à sa guise. Quoi qu’on en pense, la parole libérée brise cette impunité. Et surtout l’«interdit», celui de «dire», alors que l’interdit, le réel interdit, est évidemment ce qui a été subi et devrait être, à chaque fois, réglé par les tribunaux. Or, dans les affaires de délits sexuels, les délais de prescription sont trop courts pour permettre aux victimes de porter plainte. En général, celles-ci ne sont capables d’aller devant la justice que lorsqu’elles ont déjà entamé un travail thérapeutique. Bien sûr, tous propos accusatoires posent des cas de conscience et peuvent inquiéter sur les risques de «délation». Le lancement sur Twitter du hashtag «Balance ton porc» n’a rien d’anodin. Néanmoins, doit-on parler de «délation» quand une victime désigne son agresseur? Une bonne fois pour toutes: la parole se libère et tant mieux! Voyons-y un bien, un grand bien même, dans les limites des usages conforment à la loi. Croyez-nous : nous pensons savoir, mais la plupart du temps nous ne savons pas grand-chose de la réalité. Mais si nous savons, alors nous sommes, nous aussi, ne serait-ce que passivement, enfermés dans cette culture de la complicité.


[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 octobre 2017.]

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